Dragon silencieux

Dans l’ancienne province du Zhuang trois malandrins s’étant fait passer pour de prestigieux maîtres du Ch'an vivaient confortablement de la crédulité de la population.

L’un d’eux se faisait appelé le « Dragon Silencieux », parfaitement inculte et profondément stupide, il s’en remettait toujours à ses deux compères - plus versés dans l’art des mots - pour fournir aux visiteurs des explications alambiquées sur le Tao ou sur leurs problèmes du moment.

Ainsi, en public, n’ouvrait-il jamais la bouche. Cela impressionnait beaucoup au point que sa réputation ne faisait que grandir . Les dons affluant, les trois faux moines exultaient ...

Un jour, alors que ses acolytes s’étaient absentés du petit temple, il reçut la visite d'un moine pèlerin qui après moult déférences lui demanda :

- Sifu, qu'est-ce que Bouddha ?

Manquant d’avaler sa langue « Dragon Silencieux » ne sachant que faire ni que dire, tourna sa tête dans toutes les directions, cherchant du regard ses complices.

Le moine apparemment satisfait opina du bonnet, il demanda alors :

- Qu'est-ce que le Tao ?

Encore plus embarrassé, le faux maître leva les yeux brusquement au ciel, implorant quelque divinité, puis les baissa rapidement vers le sol, renvoyant ce moine importun dans les enfers.

Le pèlerin perplexe un moment renchérit de plus belle :

- Qu'est-ce que « être moine »?

« Dragon Silencieux » éructa un silence bouche bée et se contenta de fermer les yeux.

Le voyageur visiblement impressionné lui demanda enfin :

- Vénérable, qu'est-ce que l’Eveil ?

Abandonnant tout espoir, de voir arriver les deux autres imbéciles, le faux maître expira bruyamment et écarta les bras en signe d’impuissance.

Sur ce, le moine pèlerin s’inclina respectueusement en gasshô, fit son offrande et quitta les lieux, manifestement enchanté des réponses du pseudo sage.

Sur le chemin de montagne, il rencontra les deux compères du "Dragon Silencieux" et il se mit à leur parler de ce dernier en termes très élogieux.

Voici ce qu'il leur dit :

« Je lui ai demandé ce qu'était Bouddha, et aussitôt il s'est tourné vers les dix directions pour me faire comprendre que les hommes cherchent sans cesse Bouddha là où il n'est pas.

Ensuite, je lui ai demandé ce qu'était le Tao, et pour me répondre il a regardé vers le haut et vers le bas, me signifiant ainsi que la vérité du Tao est un tout, qu’il ne faut faire aucune distinction entre le haut et le bas, le ciel et la terre. La pureté et l'impureté y étant d’égale importance.

Pour répondre à ma question, sur le fait d’être moine, il a fermé les yeux sans rien dire, me rappelant ainsi la fameuse parole : "Celui qui peut fermer les yeux, rester silencieux et dormir seul dans la profondeur d’une vallée, celui-là est un grand moine".

Enfin, en réponse à ma dernière question : "Qu'est-ce que l’Eveil ?" Il a ouvert les bras et m'a montré ses deux mains, pour me faire comprendre que l’Eveil est une bénédiction attendant les Etres sur le Chemin de la Vie ...

Ôoooh ! Quel maître éclairé ! Et que son enseignement est profond ! »

Lorsque les deux faux moines arrivèrent enfin à l’ermitage, le troisième larron décrivant de terribles moulinets avec ses bras, les injuria copieusement.

…« Vous étiez encore perdus à la taverne du village à boire et à ripailler avec quelques bougresses ?!  Cracha-t-il.

Il y a une heure, un moine m'a accablé de questions impossibles, me mettant dans l’embarras le plus noir … Il a bien failli ruiner ma réputation !!! »

 

Silence tchan

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