Faire sortir la vache

« Eh bien voilà : je suis pauvre et j’ai neuf enfants. Ma femme et ma belle mère, qui est très vieille, vivent aussi avec moi. Ce qui fait douze personnes à la maison. Or notre maison est très petite, elle n’a qu’une seule pièce. Vraiment nous vivons les uns chez les autres dans cette pièce unique. Lorsqu’on a fait la cuisine, plusieurs d’entres nous doivent sortir pour faire de la place à la cuisinière. Et pour dormir, nous devons nous allonger à tour de rôle sur nos nattes pendant quelques heures, puis nous relever pour faire place, si je puis dire, à la fournée suivante …

Bref, si cela continue nous finirons par nous entretuer, car pareille situation nous rend comme fous ».

Sou Tchen réfléchit un instant puis demanda : « Tu es paysan, n’as-tu pas de bétail ? »

« Hélas ! Repris l’autre, je suis très pauvre et possède en tout et pour tout une seule vache que j’attache le soir, à un arbre, près de la maison ».

« Alors, repartit Sou Tchen, la solution de ton problème est simple : fais entrer la vache dans la maison ».

« Ai-je bien entendu ? dit le paysan suffoqué, tu me conseilles d’ajouter encore à mon embarras ? »

« Oui, c’est cela ! »

« Très bien, j’ai confiance en toi et je vais faire ainsi ».

Huit jours plus tard, Sou Tchen qui méditait près d’une source, vit venir à lui le paysan qui, littéralement, écumait de rage. Sans s’attarder aux formules de politesse, il brailla :

« J’ai fait ce que tu m’as dit, j’ai fait entrer la vache : la situation est maintenant cent fois pire qu’auparavant. La grand-mère vit dans l’évier. L’aîné des enfants a essayé d’étrangler son jeune frère pour avoir un peu plus de place, ma femme hurle du matin au soir, coincée qu’elle est contre le mur, la vache a lâché sa bouse sur ma seule veste propre, bref, fous, nous le sommes … Que dois je faire maintenant ? »

« Très simple, dit Sou Tchen : fais sortir la vache ! »

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