Le secret de Nara
- Par sunyatazenconseil
- Le 13/10/2014
- Dans Contes et légendes
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Le moine dit ;
- « Nara, tu n’as jamais suivi de maîtres, et pourtant je sens bien que ta connaissance est réelle et profonde. As-tu trouvé par toi-même une « doctrine », des idées bien à toi d’après lesquelles tu orientes ta vie ? Si tu pouvais me parler de ces choses là, tu me réjouirais le cœur. »
...
- « J’ai eu des pensées … de fulgurantes intuitions, des évidences … Parfois pendant une seconde, pendant un jour, j’ai senti en moi les effets du savoir comme on sent la vie dans son propre cœur. Mais ces pensées bào bào, il m’est difficile de les communiquer. »
Le moine dont les yeux pâles semblaient crépiter de lueurs dorées resta silencieux. Le vent s’était calmé et l’obscurité envahissait peu à peu le campement de fortune. Semblant regarder au-delà des choses visibles, Nara reprit :
- « Tiens, voilà une des pensées que j’ai trouvée : la sagesse ne peut se transmettre. La sagesse qu’un sage cherche à communiquer a toujours un air de folie .»
Le moine afficha un large sourire.
- « Je te dis ce que j’ai trouvé, le savoir peut se communiquer, pas la sagesse. On peut, comme toi la trouver, on peut en vivre, s’en faire une Voie, on peut, grâce à elle opérer des miracles … On peut la pointer du doigt. Mais la décrire ou l’enseigner, on ne peut. C’est ce dont je me doutais déjà, enfant, lorsque mon grand père me faisait découvrir les montagnes du Sin Shuan. Voilà pourquoi je n’ai jamais cherché de maîtres. »
- « Je comprends … »
- « Il y une chose aussi, qui te paraîtra certainement douce folie … Ecoute ; le contraire de toute vérité est aussi vérité ! Toute vérité est exprimée par des mots qui ne représentent qu’une infime partie, qu’une « vue » partielle de la Réalité qui est par nature non-discriminante … Le Parfait Eveillé parlant du monde était obligé de le diviser en Samsara et Nirvana, en erreurs et en vérités, en souffrance et en délivrance. Pour qui enseigne il n’y guère de possibilités que celui du langage duel. »
Le moine resta silencieux, rajouta quelques branches dans le feu et expira doucement, profondément … Sous le vaste ciel étoilé de la steppe, deux êtres communiaient de l’unité des choses quand le hurlement lointain d’un loup solitaire les ramena à se toucher à nouveau des yeux.
- « Mais ce pays, cet instant, toi bào bào, moi, le monde ne sont jamais entièrement Samsara ou complètement Nirvana … Nous sommes dupes, car nous croyons que le Temps existe. »
- « Comment cela ?»
- « Le temps qui s’écoule n’est pas une réalité, j’en ai fait maintes fois l’expérience. Et si le temps n’existe pas, l’espace qui nous sépare, l’espace entre la Vie et la Mort, entre le Bien et le Mal entre Samsara et Nirvana, entre Souffrance et Félicité, n’est qu’une illusion. »
- « Nara, le moine que je suis et la femme que tu es ne sont que « chercheurs » mais un jour viendra où nous serons Bouddha. Mais « un jour » est une illusion, je te l’accorde. Mais ne nous faut-il pas progresser ?»
Nara se rapprocha du moine, l’air devenait plus frais, il emplissait les poumons et procurait une joie intense, simple et merveilleuse.
- « Personne ne s’achemine vers l’état de Bouddha, mais notre esprit ne peut le concevoir autrement, le Bouddha à venir est maintenant, Nara prit la main du moine, il est depuis toujours déjà là, dans le chercheur qui doit le re-co-naître ici et maintenant, à chacune de ses respirations. »
- « Oui, le monde, Nara, est chose parfaite, à chaque instant, comment pourrait-il en être autrement ? Chaque faute, chaque erreur porte déjà en elle sa rédemption. Tous les enfants ont déjà le vieillard en eux, tous les nouveaux-nés, la mort et tous les mortels la vie éternelle … »
- « Oui, bào bào mon coeur, et personne, vraiment personne n’a le don de voir à quel degré son prochain est parvenu dans la reconnaissance du Bouddha en lui. Bouddha attend dans le bandit et dans Bouddha attend le bandit. »
Le feu rougeoyait encore et les deux êtres enveloppés dans l’épaisse couverture de laine ne faisaient plus qu’un. Un hurlement proche déchira le silence faisant tressaillir les petits chevaux mongols.
- « La méditation donne le moyen de tromper le temps, Nara. De voir comme simultané tout ce qui a été, tout ce qui est et tout ce qui sera. Voir que tout est parfait, tout est Bouddha. »
- « Bào bào, je vois la mort comme la vie, le pécheur comme le saint, le fou comme le sage et il doit en être ainsi de tout. Je n’ai qu’à y consentir, qu’à l’accepter d’un cœur aimant. J’ai appris à mes dépens qu’il me fallait pécher par luxure, par orgueil, par vanité, par stupidité, qu’il me fallait passer par le plus honteux des désespoirs pour réfréner mes passions et mes désirs, pour simplement aimer le monde. Ne pas le confondre avec le monde imaginé par le « je », le confondre avec une quelconque idée de perfection … J’ai appris à prendre le monde tel qu’il est, à en faire partie, voilà mon coeur, quelques unes des pensées qui me sont venues.»
Le moine se baissa ramassa un morceau de bois le soupesa et dit d’un ton détaché ;
- « Voilà du bois, dans un temps plus ou moins éloigné il sera cendre et de cette cendre naîtra une plante, un animal ou un être humain. Autrefois, j’aurais simplement dit ceci ; ce morceau de bois n’est qu’un morceau de bois, une chose de rien appartenant au monde de Maya. Mais comme il est susceptible, dans la ronde des transmutations, de devenir aussi un être sensible, je veux bien en reconnaître la valeur. Telle eût été probablement ma pensée autrefois. Mais maintenant je dis, ce morceau de bois est un morceau de bois, il est aussi Dieu, il est aussi Bouddha. Je l’aime et le respecte, non pas parce qu’il peut devenir un jour, ceci ou cela, mais parce qu’il est déjà cela depuis longtemps, depuis toujours. »
- « Il existe du bois qui au toucher ressemble à de la soie de Chine, d’autres comme du sable et d’autres encore plus rugueux. Mais chacun a son caractère propre et prie à sa manière, chacun est Bouddha tout en étant aussi et au même niveau du bois avec ses particularités ; et c’est pour cela que j’y porte attention, puis regardant le feu, ce bois est merveilleux et digne de notre adoration. »
Nara laissa aller sa tête sur l’épaule du moine au crâne rasé, de sa longue chevelure noire remontait un parfum enivrant. Le silence était total, hommes et bêtes en communion parfaite avec l’immensité de la plaine. Tous deux savaient l’instant rare et précieux …
Se serrant davantage, Nara chuchota à l’oreille du moine :
- « La parole sert mal le sens mystérieux des choses, mais il en existe une que je ressens et que les mots ne sauraient trahir, c’est un secret et je te le confie : Bi chamd hairtai … bào bào. »
Silence rencontre voyage amour sourire Lumière
Commentaires
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- 1. Désirée Le 15/10/2014
"Voilà pourquoi je n'ai jamais cherché de maître". Elle voit plus loin que le visible. J'aime cette figure féminine.
Pour ce qui est de la méditation "à la mode" je ne pensais pas à toi, mais à tous ceux qui se sont emparés d'elle pour la vendre. Cela me parait un dévoiement de la pratique. -
- 2. Désirée Le 15/10/2014
Tiens donc, elle pense comme moi cette Nara. Quelle sagesse! ^^
Sinon traduction de ses derniers mots?-
- sunyatazenconseilLe 15/10/2014
Quelque chose comme "je t'aime mon coeur"... Si tu penses comme elle tu dois avoir réponses à tes 2 questions (qui n'en sont peut-être pas d'ailleurs) à propos de la méditation (pas celle "à la mode" ... l'autre)? Est-ce l'ultime tentative pour résister à l’attraction du vide quand tombe le voile des illusions? Méditer pour mieux marcher (seule?) ensuite dans le brouillard?
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