Recueillement assis ; première expérience
- Par sunyatazenconseil
- Le 13/06/2014
- Dans Contes et légendes
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Voyage symbolique d'Eclat de Lune - Chapitre V - Recueillement assis
Au petit matin, Eclat de Lune se réveilla pleine d’une joyeuse attente et plus heureuse qu’elle ne l’avait jamais été.
« Il y a dans ce lieu, pensa-t-elle, une atmosphère de paix que je n’ai jamais ressentie ailleurs, sauf peut-être chez mon ami Tigre Bleu, dans sa résidence au bord du lac. Je suis si pénétrée de contentement que je redoute déjà l’heure de mon départ d’ici ! Toute la personne de mes hôtes respire une douceur et une sérénité qui les fait aimer à première vue et me donne à croire que je les connais depuis un an et non pas quelques heures. Je me demande quels enseignements va nous donner ce modèle de tolérance et de compassion ; il ne sera pas un maître implacable, si j’en juge par son discours de l’autre nuit, si indulgent à nos erreurs, si différent des austères maximes que j’ai lues dans divers ouvrages ! »
...
Interrompant ses réflexions un serviteur entra dans la chambre et dit :
« Mon maître vous attend pour déjeuner dans le jardin, auprès de la fontaine. Venez donc, s’il vous plait, sans trop tarder. »
Eclat de Lune après une rapide toilette, se rendit, comme on l’en priait au jardin. En compagnie de Vent des Steppes et de ses hôtes, elle fit un léger repas, en silence sous les ombrages, tandis que – formant un délicieux accompagnement – une mélodieuse fontaine, chassée par le souffle de la brise matinale, rafraîchissait l’air d’une pluie opalescente et diaphane.
Le petit déjeuner achevé, Dix Mille Années dit : « C’est dans une pièce du pavillon des grenouilles, que nous commencerons notre étude matinale. Je vous y attendrai dans trente minutes, après avoir rempli d’autres devoirs ».
Tandis que le guerrier mongol et la princesse exploraient au-delà des limites du jardin, les montagnes environnantes, Eclat de Lune se disait ; « Ce sommet couronné de neige, que je suis destinée à gravir un jour, m’apparaît terriblement lointain et presque inaccessible. Je doute fort de l’atteindre un jour, car, maintenant que j’en suis un peu plus proche, il me semble plus éloigné encore qu’auparavant, et sa silhouette paraît plus formidable, vue d’ici, que de ma propre cité. »
Semblant lire ses pensées, Vent des Steppes, prit le bras de la jeune femme et répondit par le sourire : « Ce jour est trop délicieux, souffla-t-il, pourquoi assombrir un cœur léger par le fardeau de craintes qui pourraient bien être que vaines illusions ? »
Eclat de Lune rit, et dit, d’un ton approbateur : « Tu parles déjà comme un sage sans avoir eu le labeur de l’étude ; tu sembles doué d’une naturelle philosophie mon ami, de même que l’oiseau a le don du chant. Je crois que Dix Mille Années trouvera en toi un élève bien plus capable que moi avec tout mon bagage de lectures – en sorte que si je ne me hâte, tu me dépasseras certainement et toucheras le but le premier ! Mais rendons-nous au pavillon, car faire attendre notre maître serait discourtois, étant donné qu’il nous donne tout et n’exige rien en retour. »
Dix Mille Années les accueillit d’un sourire et les pria de s’asseoir jambes croisées sur un coussin rond, le dos droit. Le son de la cloche fût suivi par un profond et inhabituel silence. Après un temps qui parut une éternité aux deux élèves, le Maître prit la parole ;
« S’il était possible que nous éprouvions la somme de toutes les jouissances terrestres, exemptes de leurs désavantages et de leurs douloureuses conséquences, ce plaisir ne vaudrait pas la millième partie de bonheur qui découle du progrès fait dans la pratique du recueillement assis ; elle est l’art de frapper le rocher même d’où jaillit la félicité inaltérable, qui est en nous, et non pas hors de nous. Si toute joie venant du dehors est soumise à des restrictions, toute joie venant du dedans est pure et illimitée, par conséquent toujours déjà là … présente, que nous le sachions ou pas.
D’ailleurs, même la joie du dehors n’est extérieure qu’en apparence ; car, ni la fortune, ni les domaines, ni les mets raffinés, ni les richesses, ni même les amours ne renferment de joie en eux-mêmes : ils ne peuvent que faire surgir une infime parcelle de la joie infinie latente en tout être humain … Les objets perçus par nos sens sont autant de roseaux dans lequel souffle ce musicien qu’est l’esprit, la joie étant le vent qui produit le son. Le vent ne saurait entrer de lui-même dans l’instrument, mais il y est appelé par le musicien …
Si le souffle et l’habilité du musicien viennent à manquer, le roseau devient aussi inerte qu’une pierre. »
Dix Mille Années fit une pause comme pour s’assurer qu’ils le comprenaient puis reprit :
« Sachez que le recueillement assis consiste à identifier son esprit à la Joie inconditionnée qui est en nous, c’est la réalité s’opposant à l’illusion du monde …
La beauté et l’amour absolus sans lesquels on ne saurait l’atteindre, nettoient l’esprit des impuretés, de même que la goutte de rosée doit être tout à fait exempte de poussière pour refléter parfaitement la lune …
Les impuretés ternissent le miroir de l’esprit, ce sont les vues fausses et les émotions qui bouleversent les hommes, et ne leur semblent si riches en douleur que par la vertu de l’illusion. Car, qu’est-ce que le chagrin, sinon l’absence de joie ; et qu’est-ce que l’obscurité, sinon l’absence de lumière ?
Le ciel est toujours pur et clair derrière les nuages dans l'étendue de notre esprit … Laissez passer les nuages, de sorte qu'ils ne parviennent à emprisonner la montagne immobile que vous représentez à cet instant même.
Bien comprendre que nul objet ne renferme de joie en soi, comme nul évènement ne renferme de tristesse en soi est la première et la plus précieuse des leçons, celle qui nous délivre de toute illusion. »
Dix Mille Années fit tinter une petite cloche, salua ses deux élèves les mains jointes à hauteur du visage et se leva en disant ;
« Assez pour aujourd’hui, car même si le maître est toujours prêt à enseigner, les élèves peuvent se lasser et perdre le miracle de la transmission de cœur-à-cœur. Le maître a aussi d’autres obligations, en sorte qu’il doit vous laisser à vos occupations. »
Ce disant, Dix Mille Années les quitta, pour ne plus reparaître qu’avant le diner du soir pour une nouvelle méditation collective de plus d’une heure dans la salle du pavillon des grenouilles. Recueillement silencieux et paisible, accompagné du chant des oiseaux et du murmure du vent dans les ramures … Baigné de l’atmosphère douce et bienveillante que prodiguait généreusement la majestueuse posture de Dix Mille Années.
Cette nuit là, Eclat de Lune calligraphia ce poème :
Jamais accompli
Et jamais épuisé.
Le confier au nuage,
A la montagne.
Le laisser au tigre
Pour que jamais il ne déchire,
Le donner au dragon
Pour qu'il en garde le secret
L'abandonner au vent
Pour qu'il le chante à la lune
Et préserve son souffle.
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