Relation maître / disciple - Eclat de Lune

 

Levés de bonne heure, « Vent des Steppes » et « Eclat de Lune », descendirent, guidés par « Bracelet de Jade », une centaine de pas sur le versant droit de la colline, où la forêt était très dense et la sente soustrait à la vue par un fouillis de hautes fougères, malaisée à suivre. Pleins d’espoir et d’ardeur, mais non sans un léger sentiment de crainte, ils débouchèrent enfin sur un petit promontoire dominant une ravissante mare d’eau verte et transparente. Les attendait là, « Dix Mille Années », paisiblement assis. Les voyant approcher, le maître se leva, vint en souriant au-devant d’eux, et leur adressa d'emblée quelques paroles énigmatiques et bien choisies ...

« Le maître est toujours plus prompt à enseigner que le disciple à écouter. Mais, notre pratique n’étant en rien semblable aux autres, comprenez que je ne puisse aller moi-même à leur rencontre. Aussi, est-il important pour vous de vous mettre en mouvement … »

Il sourit encore : « Mon installation est des plus modestes, mais l’herbe est le plus tendre des sièges et la nature le plus précieux des cadres, asseyons-nous donc à l’ombre de ces arbres, près de l’eau, l’atmosphère y est toujours fraîche et pleine de senteurs merveilleuses. »

Lorsqu’ils furent assis, « Vent des Steppes » regarda intensément le sage.

« Sifu, dit-il, je suis frappé du bonheur immuable et serein que vous inspirez, très loin, par exemple des attitudes austère et sévère que j’ai pu voir auparavant chez mes maîtres d’arts martiaux, ou chez certains autres religieux.»

 « Dix Mille Années » répondit, l’air amusé : « Un sombre religieux, ô ami ! Serait une vivante contradiction et tout à fait indigne de ce titre ; car quelle serait l’utilité de la sagesse si elle ne développait pas un cœur bienveillant ? »

« Cependant, renchérit, « Eclat de Lune », j’ai toujours entendu parler de sages froids, tristes, solitaires et misanthropes … En désaccord avec le reste du monde.»

Le maître rit gentiment. « Il me semble que tes sages n’en avaient guère que le nom ; car, pour celui qui réalise l’unité de la Vie et des Etres, il ne saurait y avoir ni délaissement, ni misanthropie, ni mécontentement – c’est précisément l’inverse !

Créer cet « état » intérieur est le but même de la pratique qui répand en nous, certes une divine indifférence, rendant totalement sans importance le fait que nous vivions dans le monde ou hors du monde, dans une magnifique demeure, ou un infâme bouge, dans un lieu ou dans un autre ; ici ou là ...

Mais, sachez qu’il y a deux sortes d’indifférences – une divine indifférence, dérivant de l’immuable Félicité, et une indifférence profane, découlant du perpétuel ennui causé par la souffrance. L’une appartient à l’éveillé, l’autre au « fourvoyé en ce monde ». Le premier dit : Je suis trop heureux pour ressentir la douleur ; l’autre déclare : Je suis trop triste par moi-même pour éprouver encore une douleur ni une joie quelconque.

Ainsi, l’attitude de l’un est positive, l’attitude de l’autre est négative. C’est par l’incessante contemplation de la Félicité Intérieure que le véritable sage cultive en lui la noble indifférence … Je suis autorisé à en révéler le secret à ceux qui se sont disposés à l’apprendre. »

« Dix Mille années » sourit promenant un regard affectueux de l’un à l’autre de ses auditeurs. Soudain son visage se fit grave.

« Mais, cet enseignement, dit-il, comporte quelques risques. Ceux qui pratiquent avec zèle la grande assise silencieuse acquièrent de grands pouvoirs, qui peuvent à leur insu se retourner contre eux en réveillant des volcans endormis …

Chaque être humain, en effet, suit pour arriver à la Connaissance, la voie qui est la mieux adaptée à sa personne, à son caractère, à son histoire personnelle, son tempérament … Pousser une personne à choisir une route plus rapide et plus directe, n’est pas seulement gaspiller son énergie, mais, en quelque sorte, commettre une folie qui pourrait causer la ruine de celui à qui l’on s’intéresse. Le mobile des actions de tous n’est-il pas la recherche du bonheur ? La seule différence entre le sage et le commun, c’est que le premier choisit le chemin abrupte, la paroi verticale pour son ascension, le second emprunte le chemin de montagne comportant de nombreux lacets, mais sans courir trop de dangers …

Seule la carpe capable de se transformer en dragon peut espérer sortir indemne de sa plongée dans le bouillonnement de la cascade … Tout autre esprit peu vigoureux se verrait conduit inéluctablement à sa propre perte ! »

« Dix Mille Années » fit une nouvelle pause et laissa errer ses yeux dans le ciel bleu, comme perdu dans ses pensées. Puis, la gravité de son expression s’adoucit d’un éblouissant sourire.

« L’objet de la Parfaite Sagesse, dit-il, est la transformation de notre conscience ordinaire en une conscience que nul mot, nulle parole ne saurait décrire, qui ne peut être qu’expérimentée … Qui pourrait décrire la saveur douce sans avoir goûté le miel ; expliquer le sentiment amoureux à celui qui n’a jamais aimé et la faculté de voir à celui qui naquit aveugle ? Néanmoins, toutes ces choses existent !

Mais, de même que, pour expérimenter nombre de choses en ce monde, il faut que certaines conditions soient remplies, l’expérience de la Sagesse Fondamentale suppose, elle aussi, certaines conditions préalables : la première – savoir ce qu’il faut pratiquer ; la seconde – savoir comment le pratiquer, et la troisième – le pratiquer véritablement !

Sans cette trinité d’éléments essentiels, on n’atteint absolument rien. Ma tâche est de vous éclairer sur tout ceci … Que la grâce vous assiste !»

« Vent des Steppes » et « Eclat de Lune », devinant à ces paroles, que le maître souhaitait être laissé à ses méditations, se levèrent, s’inclinèrent et après une courte promenade dans les sous-bois, ils s’en retournèrent en direction du pavillon des grenouilles.

« Eclat de Lune » était heureuse, il lui semblait re-nouer avec le monde et franchir le pont fragile qui la séparait encore de la Paix Profonde … Elle éclata d’un rire joyeux et prenant la main de « Vent des Steppes », elle hâta le pas transportée par une énergie nouvelle.

 

 

Crédit photos - Cirque de Salazie - mars 2011

 


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