Hara (ventre), centre vital de l'homme

La force vient du ventre (hara).

Les Japonais l’assurent : notre ventre ou “hara” est le réservoir de notre énergie. Centrés sur lui, nous faisons preuve d’assurance et de sérénité. Coupés de lui, le moindre choc peut nous faire vaciller…

Catherine Maillard

L'avenir nous inquiète et nous nous montrons particulièrement irascibles avec notre entourage. Stress, insomnie, mal de dos, problèmes digestifs sont notre lot quotidien. Directeur du centre Dürckheim – un centre de méditation –, Jacques Castermane l’affirme : « La plupart de nos maux ont pour origine la perte de contact avec notre “hara”. »

Ce hara ou "rayonnement de notre force vitale" est une zone située juste trois doigts en dessous du nombril, une sorte de puits sans fond qui irradie de l’abdomen au bas-ventre, dont nous pourrions tirer force et sécurité. Bonne nouvelle : ceux qui arborent un petit ventre bombé posséderaient la géométrie idéale pour le cultiver !

Ce sont les Japonais qui ont le plus développé la conscience du hara. Encore appelé "océan de l’énergie", il est considéré comme le centre de la vie instinctive et intuitive, dont dépendent toutes nos fonctions physiologiques mais aussi psychologiques.

Un enracinement naturel

Comment reconnaître une personne centrée sur son hara ? « Elle est solidement ancrée sur terre », explique Jacques Castermane. A l’inverse, un individu décentré manifeste un déséquilibre : poitrine en avant, ventre rentré, épaules contractées. Chez lui, la tête domine. La fonction intellectuelle prime sur l’instinct. Déconnecté de son bassin, un simple choc peut alors l’ébranler. Qu’il soit physique ou émotionnel. On peut en faire soi-même l’expérience dans le métro. Si une simple bousculade nous fait vaciller, il y a de grandes chances pour que nous ne soyons plus en harmonie avec notre hara.

« Certains enfants sont un très bon exemple du fait que “demeurer dans son propre ventre” est une chose extrêmement naturelle, écrit L. Jolly dans “Le Do-in hara” (De Vecchi, 1997). On voit des enfants âgés de 2 ou 3 ans, assis par terre, dans une attitude royale. Ils se tiennent droits sans effort. Ils n’ont pas besoin d’un appui pour leur dos, à l’inverse de la majorité des adultes. Leurs jambes reposent sans tension sur le sol. On dirait qu’une force mystérieuse, comparable à la sève des plantes, parcourt leur buste, afin qu’ils conservent cette position sans fatigue. Cette force provient du hara. »

Dialoguer de ventre à ventre (dans le zen nous disons : "I shin den shin").

Se recentrer sur notre ventre peut aussi aider à mieux communiquer avec les autres et à gérer nos émotions. « Une vraie conversation doit être menée de ventre à ventre, et pas seulement de bouche à oreille, suggère Jacques Castermane. Les individus irritables qui se montent la tête facilement portent souvent le “ventre haut”. Une personne au “ventre bas” ne réagit pas si vivement. »

Explication : lorsqu’une contrariété nous conduit à nous échauffer, à hausser le ton, une bonne maîtrise du hara permettrait de « tasser cette énergie dans la région des hanches pour éviter qu’elle nous déborde ». Attention : il n’est nullement question de refouler nos émotions, mais de leur offrir un espace corporel pour pouvoir les observer sans se laisser submerger.

Comment le fortifier

Si nous ressentons souvent de la fatigue après une journée de travail, c’est peut-être aussi parce que nous ne sommes pas dans notre hara. En nous appuyant sur les seules forces de l’ego, du mental, nous nous sommes coupés des forces profondes de l’être.

Le "zazen", le shintaïdo et le massage respiratoire peuvent nous aider à retrouver notre centre.

Bénéfice immédiat : une sensation de vitalité accompagnée d’un grand calme. « En se concentrant pleinement sur le moment présent, l’énergie du hara s’accroît », explique Katia Rebel, responsable du Dojo Zen de Paris, où se pratique le "zazen" ("assise" en français). Au début, la posture est difficile à tenir. Mais plus on se montre assidu, plus l’équilibre, tant physique que psychologique, augmente. « Au bureau, dans des moments de grande fatigue, je m’inspire de cette posture en restant bien droite sur ma chaise, et je me sens vite moins débordée », assure Elisabeth, 45 ans, informaticienne.

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Hara par KG Dürkheim

Un autre souvenir me vient à l'esprit. C'était lors d'une grande réception: à la fin du repas, les invités - Européens et japonais - fumaient, debout, une tasse de café à la main.

Un ami japonais vint vers moi et, connaissant l'intérêt que je portais à ce genre de choses, il me dit:

« Voyez-vous, chacun des Européens ici présents se tient de telle sorte qu'il doit tomber automatiquement en avant dès qu'on le pousse, même légèrement, par derrière. Tout au contraire, les japonais ne perdraient pas l'équilibre, même s'ils recevaient un coup de poing dans le dos.» Mais d'où cette stabilité leur vient-elle?

Leur centre de gravité n'est pas déplacé vers le haut, mais il est fermement maintenu dans la région ombilicale, c'est-à-dire dans le centre vital de l'homme. Le ventre n'est pas rentré, mais il s'épanouit librement et est en même temps renforcé par une légère tension.

Les épaules ne sont pas tendues, mais relâchées; toutefois, le tronc a une assise ferme. La position droite ne provient donc pas d'une « tendance vers le haut», mais indique l'existence d'un axe qui repose, comme le tronc d'un arbre, sur une base solide et se maintient sans effort à la verticale. Peu importe que l'homme soit gros ou maigre. Attitude droite, stable et recueillie, tels sont les trois caractéristiques exprimant la présence du Hara aux yeux du Japonais.

Athlètes Égyptien   Christ en majesté Trêves 10ième siècle

Maître Kenran Umej

Poitrine en avant - ventre rentré « Un peuple qui ferait de ce précepte un principe d'ordre général serait en grand danger» :  voilà ce que me dit un Japonais en 1938. Cela se passait lors de mon premier séjour au Japon. A l'époque, je ne compris pas cette phrase. Mais aujourd'hui, je sais qu'elle est vraie et pourquoi elle est vraie.

« Poitrine en avant - ventre rentré », c'est l'expression la plus concise d'une mauvaise attitude fondamentale de l'homme, ou plus précisément d'une mauvaise attitude phy­sique qui trahit et renforce une mauvaise attitude intérieure.

Comment ! Direz-vous, l'homme doit-il se tenir courbé, tordu ou affaissé sur lui-même ? Certes non. Il doit, au contraire, se tenir bien droit! Mais ce précepte conduit à une attitude qui est contraire à l'ordre naturel.

Le déplacement du centre de gravité « vers le haut» et le fait d'être coupé de ce centre dérangent l'équilibre naturel entre tension et relâchement et font osciller l'homme entre un état de tension très forte et un état de dissolution.

L'homme qui possède le Hara a retrouvé le chemin de son centre originel et est capable d'en témoigner. Cela correspond à un état particulier qui concerne la personnalité tout entière, état dans lequel l'opposition corps/âme n'existe plus.

Ainsi peut-on dire qu'au centre de gravité psychique correspond le centre de gravité du corps. C'est pourquoi il est impossible de trouver son centre intérieur sans avoir trouvé le centre de son corps. Mais où celui-ci se situe-t-il exactement ? Dans la région ombilicale ou, plus précisément, légèrement au-dessous du nombril.

Nous ne nous étonnerons donc pas d'apprendre que Hara, le concept du centre vital de l'homme, signifie littéralement ventre.

 

Karlfried Graf Dürkheim