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Inner landscape

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Au jour fixé, « Eclat de Lune » et « Vent des Steppes » se mirent en route pour leur grand voyage, non sans que la princesse eût été prendre congé de « Tigre Bleu », dans sa résidence au bord du lac – car qui pouvait dire si leur séparation ne serait pas fort longue, ni même définitive ? …

Maintenant, les deux pèlerins avançaient péniblement le long des routes poussiéreuses de l’Empire du Milieu. Tantôt se rafraîchissant dans une auberge au bord du chemin, tantôt se reposant un instant sur l’herbe, au bord d’un ruisseau, tantôt baignant leurs pieds endoloris dans les eaux froides d’une rivière, ou encore lavant leur visage de la poussière et de la sueur qu’y avait mises l’ardeur du soleil.

Se sentant, à chaque pas plus exténuée, « Eclat de Lune » pensait :

« Malheur à moi, d’avoir été assez folle pour voyager sans chevaux ni domestiques et telle une simple mendiante, traînant comme des pierres, mes jambes qui se font à chaque pas plus lourdes. A cause des bavardages d’un vieux moine, j’ai laissé toutes mes richesses, abandonné toute espèce de confort, et me voici toujours en quête de je ne sais quel rêve ! »

Puis elle regarda son compagnon, qui marchait solidement à ses côtés, le visage calme et silencieux, ses yeux étant cependant profondément cernés par la fatigue. En réponse au regard d’ « Eclat de Lune », il sourit d’un sourire où la lassitude se mêlait à une intention d’encouragement ; mais il ne dit rien.

« Ah ! Si je pouvais l’aimer comme il m’aime, songea la princesse, la route me paraîtrait plus facile, éclairée qu’elle serait par cette petite chose précieuse qu’est un sourire, de même que la sienne est éclairée par les signes d’attention – si légers soient-ils – que je lui donne !

Il faut réellement que cet homme ait un noble cœur, pour avoir en moi une telle foi et pour m’avoir aimé au long de toutes ces années d’abandon – en dépit des attraits de tant d’autres rencontres certainement. Qui sait ? Si sa beauté et sa force n’étaient pas passées, je pourrais peut-être l’aimer encore … »

Elle le regarda à nouveau, et, cette fois, lui sourit avec bienveillance. Lorsqu’il lui sourit aussi, une joie furtive dans les yeux, elle sentit qu’elle pouvait jouer de son âme, comme une musicienne joue de son instrument, pour en tirer de joyeuses mélodies. Subitement jaillit dans son esprit une idée qui la réjouit ;

« N’ai-je pas trouvé un jeu nouveau, qui me distraira pendant ces longues heures de marche et m’amènera d’autant plus vite à destination ? La simplicité même de ce jeu fait la moitié de son charme, car il peut se jouer n’importe où, et non pas d’ailleurs, seulement entre nous deux. C’est singulier que je n’y aie jamais songé auparavant et que le regard surpris dans les yeux d’un homme las et vieilli, qui m’aime sans que je puisse l’aimer en retour, soit ce qui m’en révèle pour la première fois l’existence !

Si les choses eussent été autres, et que j’eusse pu l’aimer d’amour, cette idée aurait échappée à mon esprit, intoxiqué par la passion amoureuse et insensible aux subtiles nuances des choses du cœur …

Je vais le regarder avec plus de bienveillance encore, et noterai la façon dont il réagit ; car, lui donner ici et là une petite joie et en observer l’effet sur se physionomie, me donne à moi plus qu’une petite joie, m’ouvre aussi le cœur, le rendant sensible au rayonnement de ce vaste, incommensurable et mystérieux océan d’Amour qui vibre et frémit tout autour de nous.

De nouveau, elle le regarda, cette fois avec un sourire de compassion, puis prenant son bras pour appui ils gravirent la pente que faisait en cet endroit, la route. Il tourna vers elle des yeux où se lisaient le bonheur, l’affection, la gratitude, posa sa main sur la sienne en guise de réponse, mais n’articula pas une parole.

« Eclat de Lune » dit alors de sa voix merveilleusement douce ;

 « Une fois en haut de cette colline, nous nous reposerons un peu, avant de continuer jusqu’au prochain village, là-bas nous chercherons un abri pour la nuit. Je sens maintenant venant de droite, la fraîche brise des hauteurs ; nous avons atteint une région élevée, j’espère que nous allons sentir nos jambes plus alertes, en présence de ces paysages ou croissent les pins. »

« J’oublie presque la lassitude de mes membres, tant mon cœur est léger », répondit « Vent des Steppes » dont la fatigue provenait bien plus de son âme que de son corps robuste et ciselé pour l’effort. Si une intense fatigue semble entraver mes jambes, mon esprit est libre, ayant rejeté des chaînes bien plus lourdes que celles qui peuvent entraver mon corps. Et cela, je te le dois, car tu m’as choisi comme compagnon de route, parmi beaucoup d’autres plus aptes que moi à te suivre dans cette étrange aventure. »

« Non, dit-elle, je ne voudrais pas te tromper ; il n’en est point ainsi ; tous ceux que j’ai sollicités se sont moqués de moi et ont refusés de m’accompagner ; en sorte que, sans toi, j’aurais dû abandonner complètement mon projet. Maintenant, je suis heureuse de t’avoir avec moi plutôt que l’un de ces autres, et je pense que c’est la Destinée elle-même qui t’a poussé à venir avec moi. Où aurais-je trouvé un compagnon plus confiant et endurant que toi ? Et qui sait si une grande partie de ce que je dois apprendre ne me viendra pas de toi, puisque ce voyage n’est en somme, qu’un voyage d’apprentissage, et chacun de ses incidents renferme son message, utile à qui est assez perspicace pour le comprendre ? »

Eclat de lune 2

Alors, « Vent des Steppes » adressa à « Eclat de Lune », un regard d’une douceur telle que, pour un instant, tout ce qui était fané en lui sembla rajeuni par la chaleur de son âme transparaissant dans ses yeux. Si bien qu’elle se prit à penser : « Après tout, je crois que je pourrais l’aimer un peu : bien que fatigué, il a des yeux inexprimablement tendres, et sa voix a gardé son envoûtante puissance.»

Elle resserra l’étreinte de ses mains sur son bras et pencha légèrement sa tête vers son épaule.

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