U Ji ; L'Être-Temps selon Dôgen
- Par sunyatazenconseil
- Le 16/02/2014
- Dans ZEN
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有 U - Existence ; Existence comme source et sujet de tous les phénomènes (samsara).
時 Ji - Temps ; Le temps séquentiel (tant les heures que les saisons), mais aussi le présent, les conditions et situations.
« l’Être-temps signifie que le temps est toujours existence et que toute existence est temps »,
« Toutes les existences et l’univers entier sont présents dans chaque instant du temps. Dans toutes les existences ou dans l’univers entier, il n’y a que le temps de l’instant présent »,
Avec U Ji, le temps est vu comme la manifestation même de l'être, des existences et de la totalité des phénomènes, un aspect qui, tout en étant toujours de l’ordre du devenir, du mouvement, ne se manifeste qu’ici et maintenant, et contient l’éternité. De même que chaque phénomène contient la totalité de l’existence – autrement dit que chaque brin d’herbe contient la totalité d’inmo, la nature propre, de même chaque moment contient la totalité du temps ...
Voyons ce que nous laisse à penser la physique quantique ;
" J’ai dit aussi en outre qu’il est une puissance dans l’âme que ne touchent temps ni chair ; elle flue hors de l’esprit et demeure dans l’esprit et est en toute manière spirituelle. Dans cette puissance Dieu toujours verdoie et fleurit dans toute la félicité et dans toute la gloire qu’il est en lui-même. Là est telle félicité du cœur et si inconcevablement grande félicité que personne ne peut le dire de façon plénière...
Voyez maintenant, cet homme habite dans une seule lumière avec Dieu ; c’est pourquoi ne sont en lui ni peine ni succession, mais une égale éternité. Cet homme est délivré en vérité de tout étonnement, et toutes choses se trouvent en lui de façon essentielle. C’est pourquoi il ne reçoit rien de nouveau des choses à venir ni d’aucun hasard, car il habite dans un instant en tout temps nouveau sans relâche. Telle est la souveraineté divine dans cette puissance. "
Maître Ekhart - extrait sermon 2
TEXTE complet U Ji (source)
1 Un ancien Bouddha disait :
De temps à autre, gravir les pics les plus élevés,
De temps en temps, marcher dans les profondeurs des océans.
Parfois trois têtes et huit bras,
Parfois seize ou huit pieds de haut.
Quelquefois un bâton de moine ou un chasse-mouche,
Quelquefois un pilier ou une lanterne de pierre.
Par moments, le troisième fils de Chang ou le quatrième fils de Lee.
Par moments, la terre et le ciel.
2 Le terme Uji définit à la fois le temps comme une réalité d’être et tout ce qui est comme temps. La silhouette d’une statue du Bouddha est temps. Du fait qu’elle soit temps, elle a le rayonnement de sa clarté. Nous devrions l’étudier au même titre que les douze périodes d’une journée. Les trois têtes et les huit bras sont temps. Comme ils sont temps, ils sont comparables aux douze périodes d’une journée. Bien que nous ne soyons pas en mesure de justifier ce qu’elles représentent - ces douze périodes - en termes d’unité de valeur, nous ne doutons pas pour autant qu’une journée puisse en contenir. Nous n’avons aucune raison d’en douter, nous avons pour preuve les empreintes du temps. Que l’on ne puisse pas en douter n’implique pas que l’on sache exactement ce qu’est le temps. En règle générale, les gens doutent naturellement de ce qu’ils ne saisissent pas et c’est ainsi jusqu’au moment où ils comprennent, si bien que les doutes d’autrefois ne correspondent pas forcément à ceux de maintenant. Tous les doutes ne sont rien d’autre que temps. Nous percevons l’univers au travers de ce doute. Chaque chose, chaque individu dans ce monde devrait être considéré comme des moments du temps. Les choses ne s’entravent pas et ne s’opposent pas entre elles, de même qu’un instant ne fait pas obstruction à un autre instant. De ce fait, si nous sommes résolus à atteindre la compréhension éclairée de notre nature véritable, le monde tout entier, simultanément, sera perçu en possession de la même résolution. Dans ce cas, il n’y aucune différence entre l’esprit et le temps. Ils sont tous deux reliés au dessein de parvenir à la compréhension éclairée de sa nature véritable. Il en va de même pour la pratique et pour la réalisation de la Voie.
3 En mettant de l’ordre en nous, nous finissons par percevoir que le moi est temps. Au nom de ce principe, nous devrions étudier chaque chose dans le monde comme une manifestation du temps, et chaque instant comme une accession à la réalité du monde. Cette perspicacité marque le début de la pratique et de la compréhension éclairée de notre nature véritable .
A ce stade, il nous est possible de concevoir clairement que : chaque brin d’herbe, chaque objet et chaque organisme vivant ne peut être dissocié du temps. Le temps renferme tous les êtres vivants et tous les mondes. Les gens ordinaires - ceux qui n’ont pas étudié le Dharma du Bouddha - lorsqu’ils entendent le terme Uji , finissent par imaginer qu’il est question d’un Démon ou d’un Bouddha.
4 Considérons la traversée d’une rivière ou l’escalade d’une montagne. Bien que la rivière et la montagne puissent toujours exister, qu’elles aient été franchies ou escaladées et que présentement je vive dans un palais de pierres précieuses aux tours couleur pourpre, ce n’est que du passé et cela n’a aucun rapport avec la vie présente. De ce fait, la rivière et la montagne sont plus éloignées de moi que le ciel ne l’est de la terre. Mais ce raisonnement reste incomplet. Au moment où je traversais la rivière et escaladais la montagne, c’est moi qui y étais. Puisque je suis toujours là, le temps ne peut pas avoir disparu. En réalité, le temps n’a pas la capacité de filer ou de surgir.
Quand je traversais la rivière et escaladais la montagne, j’existais dans le continuel présent qui contient le temps du passé et le temps du présent. L’acte de traverser la rivière, d’escalader la montagne ou de vivre dans le palais se révèle être Uji . Les Démons sont du temps du passé, les Bouddhas sont du temps du présent. Le temps du passé est une expérience que nous faisons dans notre existence présente. Il se présente comme étant échu - éloigné - et pourtant le présent contient le passé. Voyez-vous, le pin est temps et le bambou aussi.
5 N’en déduisez pas que le temps puisse tout simplement filer. Il n’est pas exact que filer soit la seule fonction du temps. Si le temps pouvait filer, alors il y aurait une scission entre le temps et nous. C’est conclure que le temps n’est qu’un phénomène passager, rendant par la même occasion la compréhension d’Uji difficile. Pour être plus concis : - dans l’univers, toutes les existences sont en relation entre elles, et bien qu’elles puissent subsister les unes à la suite des autres, elles ne peuvent être dissociées du temps. Comme le temps est la réalité de l’être, il est aussi ma réalité, celle qui est vécue .
Uji possède une propriété essentielle qui est celle d’être changeante, dans le sens qu’aujourd’hui change vers demain, qu’aujourd’hui change d’hier qui change vers aujourd’hui. Aujourd’hui contient une succession de moments d’aujourd’hui, comme demain contient une succession de moments de demain. Le fait de pouvoir se renouveler est aussi une propriété essentielle du temps, alors il ne peut y avoir simultanéité entre le temps du passé et celui du présent. Ainsi, Maître Seigen est temps, Maître Obaku est temps et les Maîtres Kozei et Sekito sont temps . De même que soi et les autres sont Uji, que le sujet et l’objet sont Uji, alors la pratique et la compréhension éclairée de sa véritable nature sont Uji, simultanément, dans le présent. De même, le fait de fouler la vase et d’entrer dans l’eau claire - comme la dure tâche d’enseigner - est finalement Uji.
6 Comme les gens ordinaires n’ont pas une compréhension juste de ce qu’est Uji, ils ne peuvent découvrir le véritable Dharma. Ainsi, ils ne parviennent pas à concevoir qu’il puisse être en eux. Leur ignorance est la cause de leur transmigration - souffrance. Par ailleurs, ces personnes pensent que le Dharma n’est pas temps présent, qu’il n’est pas en eux et finissent par se convaincre qu’un Dharma infini ne peut exister. Malgré cela, il faut se dire que même une telle vision limitée est aussi Uji, et ceux qui n’ont pas la prétention d’être des personnalités réalisées doivent le savoir.
7 Par Uji, le cheval ou le mouton - qui aux vues du monde ne sont qu’une succession - au sein et dans l’ordonnance du Dharma où ils ont leur place - début, apogée et déclin - sont tous deux ce qu’ils sont : moment distinct et fugace d’ Uji. Les personnes qui ont la compréhension éclairée de leur nature véritable , comme ceux qui ne l’ont pas, les Démons et les Bouddhas sont sans conteste Uji . C’est un fait, Uji est toute chose. Quand cela est la pratique, le détachement et la réalisation sont révélés comme étant Uji , tout simplement . L’éternel présent contient l’espace infini , et il n’y a rien de plus.
8 Qu’il puisse nous arriver de faire des faux pas ou de nous égarer momentanément hors de la Voie, nous demeurons Uji, car il y a toujours eu un moment où nous l’avons été et un moment où nous le serons. Toute créature vivante est ancrée dans la pureté originelle de l’être . N’allez pas croire que la pureté originelle de l’être soit immuable , car l’être contient toutes les erreurs passagères. Beaucoup voient le temps dans son aspect qui file , et ne s’imaginent pas qu’il y puisse en être autrement. Concevoir cela, c’est être présent à l’être , mais ne pas pouvoir le concevoir l’est également. La compréhension éclairée de soi et l’ignorance sont toutes deux contenues dans Uji .
9 Toutefois, si nous ne comprenons pas ce qu’est Uji, il sera difficile de nous détacher véritablement. Bien que nous puissions prétendre nous connaître, la véritable compréhension de ce que nous sommes reste laborieuse. Plus nous parvenons petit à petit à mieux saisir notre nature véritable , plus la vision que nous avons de nous -même évolue. Si nous parvenons à cette compréhension éclairée de notre nature véritable , alors la sagesse et la réalisation ne seront considérées que pour ce qu’elles sont - expériences et illusions.
10 N’oublions pas que Uji ne dépend pas de nos opinions, il est simplement l’être se réactualisant. Les êtres célestes et les dieux sont eux aussi Uji. Tous les êtres , tant dans l’eau que sur terre, sont Uji . L’univers de la vie et de la mort, y compris tout ce qu’il contient, est Uji qui ne cesse d’exister en se réactualisant dans notre expérience présente. Dans le présent , tout existe en nous.
11 La succession de moments ne peut pas être comparée à la pluie qui tombe ou au vent qui souffle indifféremment d’Est en Ouest. L’univers n’est ni en mouvement, ni figé, ni en expansion, ni en régression. Il agit et se renouvelle seulement. Prenons l’exemple du printemps. Quand c’est le printemps dans une région, il est sans conteste partout, il la recouvre totalement. Le printemps , c’est le printemps et cela ne présuppose pas qu’il y ait un hiver ou un été. C’est en quelque sorte la mise à jour du vent et de la clarté du soleil printanier. Il en va de même pour la succession de moments de la vie. Cependant, la succession de moments de la vie n’est pas pour autant le printemps, la succession de moments du printemps est le printemps. Si vous admettez qu’elle puisse vous être étrangère, qu’elle ne puisse être qu’une manifestation possédant la faculté de se renouveler continûment, d’aller à l’Est, de traverser des centaines de mondes et ainsi durant des centaines de Kalpas, c’est que vous ne vous adonnez pas avec ferveur à la pratique de l’enseignement du Bouddha - le temps n’est pas un élément de plus au sein de l’univers, il est l’univers.
12 Lors d’une visite qu’il fit à Maître Kozei Daijaku - sur les recommandations de Maître Sekito Musai - Yakusan Kodo lui demanda : - J’ai compris l’importance des trois véhicules, étudié et plus ou moins compris les douze corbeilles . S’il-vous-plaît, pourriez-vous me dire pourquoi Bodhidharma est venu de l’Ouest ? - Parfois, il nous arrive de froncer les sourcils, de temps en temps de cligner des yeux et par moments nous ne faisons rien, répondit Kozei Daijaku. En entendant cela, Yakusan Kodo eut la compréhension éclairée de sa véritable nature et dit à Kozei Daijaku : - Lorsque j’étudiais auprès de Maître Sekito Kisen, je ne comprenais pas grand-chose. J’agissais plutôt comme un moustique s’évertuant à vouloir monter un taureau de fer. La réponse de Maître Kozei Daijaku est atypique. Dans ce contexte-ci, sourcils et yeux symbolisent montagnes et océans, car ceux qui ont fait l’expérience de cette compréhension éclairée de leur véritable nature sont en harmonie avec leur milieu. Quand ils leur arrivent de froncer les sourcils, c’est pour percevoir la montagne et quand ils clignent des yeux, c’est pour profiter de l’occasion de pouvoir apprendre des océans, car ils suivent sincèrement et scrupuleusement la Voie. Mais n’allez pas vous imaginer que ces gestes sont indispensables. S’évertuer à froncer ou non les sourcils n’a aucun rapport avec la vérité. Finalement, toutes ces situations sont aussi Uji. La montagne est temps et l’océan l’est aussi. Montagnes et océans ne peuvent avoir d’existence que dans le présent. Sans temps, il ne pourrait y avoir montagnes et océans. L’étoile du matin, le Tathagata, la sagesse éclairée et le fait de tourner la fleur ne sont que temps. Il ne serait rien arrivé s’il n’y avait pas eu le temps.
13 Maître Kisei de la région de Sekken, successeur légitime de Shuzan, dit à ses disciples :
De temps à autre, la compréhension y est, mais le verbe n’y est pas.
De temps en temps, le verbe y est, mais la compréhension n’y est pas.
Parfois, la compréhension et le verbe y sont.
Parfois, le verbe et la compréhension n’y sont pas.
La compréhension et le verbe sont Uji. Le fait d’y être ou pas est aussi Uji. Même si vous pensez que le temps d’y être n’est pas encore arrivé, sachez que le temps de ne pas y être est déjà là. La compréhension est l’âne comme le verbe symbolise le cheval . Ainsi, la compréhension donne naissance à l’âne comme le verbe crée le cheval. Le fait d’y être ne vient pas et le fait de ne pas y être n’est pas à venir. Le fait d’y être est tout simplement y être, comme le fait de ne pas y être est tout naturellement ne pas y être. L’un n’entrave pas l’autre. Entraver doit être vu pour ce qu’il est, n’entravant que lui-même. La compréhension doit être vue comme une compréhension et le verbe comme verbe. Ainsi est Uji.
14 La parfaite compréhension de Uji ne peut qu’être intime. La parfaite compréhension de Uji est une interaction dynamique à l’image de l’exemple suivant : quand je vais à la rencontre de quelqu’un, lors de cette rencontre, il y a lui et il y a moi, puis il y a un être humain avec qui je partage la même essence. Sans le temps, cela ne serait pas ainsi . Du point de vue de la pratique, quand il est fait mention de "compréhension" - en réalité, il s’agit d’Uji - c’est l’opportunité offerte à la Voie Bouddhique de se manifester dont il est question. De même, lorsqu’il est fait mention de "verbe", c’est le temps d’ouvrir la porte qui mène au concret - hors du domaine de l’intellect et des émotions. Le fait d’y être est le détachement, le fait de ne pas y être n’est alors ni attachement, ni non_attachement. Si nous sommes en mesure de reconnaître cela, alors nous serons efficients pour trouver Uji.
Bien que les vénérables Patriarches aient déjà tout dit, pensez-vous qu’il nous soit encore possible d’ajouter quelque chose ? Et bien si, car j’aimerai bien ajouter ceci : - qu’il y ait une moitié de compréhension et une moitié de verbe, c’est Uji - qu’il y ait défection de cette moitié de compréhension et de cette moitié de verbe, c’est encore Uji.
Il est essentiel que vous parveniez à saisir clairement cela. Le fait de froncer les sourcils et de cligner des yeux n’est qu’une moitié de Uji ou qu’une illusion de Uji. Le commencement, l’achèvement, l’actualisation de la pratique et même le fait de ne pas pratiquer du tout sont Uji.
U Ji 有時
Rédigé au temple de Kosoho-horin-ji
par Maître Dōgen en novembre 1240.
Recopié par Ejo durant la session d’été en 1243.
réalité bouddhisme science dogen
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